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Quand la Normandie résiste à l'Angleterre (1417-1450)

  • Photo du rédacteur: Charles Dupont
    Charles Dupont
  • 30 nov.
  • 8 min de lecture

Le 1er août 1417, les bannières anglaises d'Henri V se dressent à Touques, en Normandie. Profitant d'un royaume de France affaibli par le désastre d'Azincourt le 25 octobre 1415, et fragilisé par la guerre civile qui fait rage depuis 1407, l'Angleterre compte tirer parti de la situation pour entreprendre la conquête du duché normand. Si le moment paraît en effet opportun, une partie de la population normande va se révéler être un obstacle de taille pour l'occupant anglais.


Des Normands marqués par la conquête anglaise

« En ce temps là, Henry de Lancastre, roi d'Angleterre, accompagné des ducs de Clarence et de Gloucester, ses frères, avec plusieurs autres princes et d'un très grand nombre de combattants, débarqua au port de Touques en Normandie, avec l'intention de conquérir et de soumettre tout le duché à son obéissance. » (Louis Douët d'Arcq, La chronique d'Enguerran de Monstrelet : en deux livres, avec pièces justificatives : 1400-1444, Paris : Mme ve J. Renouard, 1857.)

Devant la progression des Anglais, les villes normandes, faiblement défendues tombent les unes après les autres. Caen est capturée en septembre 1417 et la prise de la ville met à l'exil plusieurs milliers de personnes qui fuient pour la plupart en direction de la Bretagne. La ville est pillée et ceux qui s'opposent à la présence anglaise sont massacrés pour l'exemple. L'épisode de Caen est suivi par la reddition de plusieurs places fortes normandes qui décident de directement se rendre sans combattre. En juillet 1418, l'armée anglaise entame le siège de la ville de Rouen, alors défendue notamment par le capitaine des arbalétriers Alain Blanchard. Malgré des appels à l'aide pour recevoir des renforts qui n'arriveront jamais, la ville finit par tomber en janvier 1419. La capture de Rouen vient clôturer la conquête de la Normandie. Tout le territoire est occupé à l'exception du Mont Saint-Michel qui reste et restera français pendant toute la période de domination anglaise.


« J'ignore quelles conventions furent faites alors de la part et d'autre; ce que je sais, c'est que le roi d'Angleterre entra dans la ville de Rouen avec ses troupes le 19 janvier, et qu'usant des droits de la victoire, [...] mit en prison les principaux bourgeois, et imposa aux habitants des taxes considérables qui excédaient leurs facultés. » (Chronique du religieux de Saint-Denis, éd. M. L. Bellaguet, 9 vol., Paris, 1839.)

Carte du Proche-Orient vers 1180

Miniature du siège de Rouen (1418-1419).

(Source : Martial d'Auvergne, Les Vigiles de Charles VII, BnF, Manuscrit Français 5054, folio 19 verso, vers 1484)


Si l'arrivée de l'Angleterre en Normandie semble être un succès, le passage de l'armée d'Henri V dans les terres normandes provoque un véritable traumatisme au sein de la population locale dès les premiers temps de la campagne. Dans les terres intérieures, des détachements anglais peu disciplinés, couplés à des déserteurs, pillent, saccagent villages, cultures et capturent des gens du pays pour en tirer rançon. Ces actions vont totalement à l'encontre des objectifs initiaux, Henri V et ses hommes sachant très bien que des événements comme ceux-ci vont liguer la population contre eux. Ainsi, si au départ l'Angleterre est vue par l'élite comme l'autorité rétablissant certains droits du duché et apportant une stabilité économique et politique en Normandie, sa présence créé rapidement une scission profonde au sein de la population du fait des demandes invitant les Normands à se soumettre.


D'une part, la noblesse, les riches marchands et artisans ainsi que le haut clergé se rangent majoritairement du côté anglais. Pour la noblesse, le fait de prêter hommage et fidélité permet de recevoir un traitement de faveur en ayant le droit de conserver ses biens et ses domaines. Pour le clergé, la domination anglaise est synonyme de stabilité, en plus de garantir la protection des biens et des terres ecclésiastiques. Enfin, les marchands et artisans profitent d'un commerce redynamisé avec l'Angleterre.


D'autre part, la paysannerie, les artisans modestes et le bas clergé entretiennent une opinion principalement hostile envers les Anglais du fait du traumatisme laissé par le saccage des terres et par la crise économique qui en découle. Ainsi, si l'on regarde les actes de la chancellerie d'Henri VI concernant la Normandie anglaise, on retrouve des mentions d'actions entreprises qui illustrent ce rejet de la présence de l'Angleterre. Dans les années 1420, des petits artisans et travailleurs sont membres de complots au sein de grandes villes comme Rouen qui visent à déloger la présence anglaise de ces lieux stratégiques. En 1427, en terre du Vexin, un laboureur et un curé d'un village sont jugés pour avoir jeté dans un puit un Anglais qui est venu loger chez ce même laboureur avant de vouloir piller son habitation.


La naissance d'une résistance normande

La résistance à l'occupant anglais apparaît dès 1417, soit bien avant la domination totale de la Normandie. L'origine sociale des partisans est constituée très majoritairement de ruraux car les zones campagnardes sont les plus hostiles à la présence anglaise. Les paysans qui composent la majorité des résistants ont l'avantage de bien connaître le pays et les endroits pour se cacher des Anglais. De plus, si l'on couple le peu de biens dont ils disposent et les pillages menés par l'armée anglaise, ils ont peu à perdre en rejoignant les activités résistantes. Les citadins et les nobles sont eux, minoritaires. La Basse-Normandie est le vivier géographique principal des résistants même si l'on retrouve quelques membres originaires de la Bretagne ou de la région parisienne.


Les Anglais catégorisent ces opposants intérieurs comme des « brigands ». Ce terme qui au départ désigne des troupes à pied (le mot « brigade » en tire sa racine), prend un autre sens à partir du début du XVᵉ siècle en désignant celui qui vit du pillage. En usant de ce terme pour désigner les adversaires à la domination anglaise, l'Angleterre s'octroie le droit et le devoir de les traquer et en même temps affirme sa présence légitime en Normandie.


En 1417, les premiers paysans prennent les armes, se cachent dans les bois et attaquent lors d'embuscades les détachements anglais. Très vite, des premiers groupes se forment. Certains résistants disent agir sous les ordres d'une mystérieuse personne se faisant appeler « Mixtoudin ». Dans les années 1420, des bandes résistantes plus organisées se forment comme celle du capitaine Guillaume Hallé entre 1425 et 1426 qui agit principalement autour d'Honfleur. La mise en place de ces groupes repose sur l'initiative d'un chef ayant une certaine expérience du monde militaire. Ce dernier procède à un recrutement se faisant principalement par le bouche à oreille. L'espoir de faire fortune en vivant du pillage et combattre les Anglais sont souvent les motivations principales. Les effectifs de ces bandes sont difficiles à estimer mais en comparant à d'autres groupes similaires au XVᵉ siècle, on estime que le nombre de membres peut aller jusqu'à 30 voire 50 personnes. L'armement possédé est assez hétérogène, on retrouve des arcs, des épées ou encore des armes d'hast car peu onéreuses à obtenir. Ces bandes s'installent dans les épaisses forêts normandes autour de Caen ou dans le Cotentin. Leurs campements ne sont jamais fixes, les résistants bougent constamment pour échapper aux patrouilles anglaises.

 

Dans les campagnes, les résistants sont connus des populations locales avec qui ils entretiennent certains liens étroits pour recevoir de nouveaux partisans, de l'équipement, de l'armement ou pour échapper à la justice anglaise. Les habitants qui les aident sont cependant extrêmement minoritaires car les conséquences sont lourdes si leurs actions sont découvertes. Cette aide est en réalité surtout donnée pour pouvoir vivre en paix car si les résistants pratiquent le pillage des possessions nobles, ils menacent également les habitants locaux pour faire valoir leurs demandes.

La complicité se retrouve aussi dans les grandes villes comme Beauvais ou Rouen où certains artisans font partie d'un réseau visant à alimenter les bandes en armes. Du côté du clergé, les curés et prêtres collaborent avec les résistants. Certains clercs sont actifs dans les années 1420 et 1430 à tel point que l'on en retrouve beaucoup dans les prisons de Caen ou Rouen. Devant ces emprisonnements, certains évêques usent de leur autorité et influence pour faire en sorte qu'ils soient relâchés. Pour les résistants, s'appuyer sur les clercs est stratégique, car ils bénéficient d'une liberté de voyage plus aisée, et servent donc d'intermédiaires entre les groupes résistants et les garnisons françaises frontalières.


Dès les années 1420, des opérations ambitieuses se développent, pilotées notamment depuis le Mont Saint-Michel servant d'avant-poste pour la préparation de ces actions. Par la suite, les partisans deviennent de plus en plus actifs, poussés par les actions de Jeanne d'Arc et l'intervention militaire française croissante. Ainsi, en 1435 plusieurs milliers de Normands menés par quelques nobles tentent un coup de main en assiégeant la ville de Caen, mais la tentative se solde par un échec.

Parallèlement, le pays de Caux est un foyer actif des partisans. En arborant en 1436 la croix blanche de saint Michel, opposée à la croix rouge d'Angleterre, les résistants normands mettent en en avant leur rattachement au parti français et lancent une révolte qui rassemble près de 6000 hommes autour d'Harfleur. La réponse anglaise est brutale, des villages sont pillés et la population massacrée.


« Cette année-là [1434], les gens du pays de Normandie, et spécialement ceux du pays de Caux, se rassemblèrent, environ deux mille, en une compagnie, pour combattre et se défendre contre les Anglais qui occupaient le pays. » (Louis Douët d'Arcq, La chronique d'Enguerran de Monstrelet : en deux livres, avec pièces justificatives : 1400-1444, Paris : Mme ve J. Renouard, 1857.)

Quels résultats ?

Si la résistance normande s'essouffle progressivement dans les dernières années, elle demeure néanmoins active. On estime que sur toute la période, plus de 10 000 partisans ont agit en Normandie. En se rapportant à la population du duché qui atteint environ 400 000 habitants, les résistants représentent environ 2,5% de la population. Devant ce résultat, il faut donc écarter la vision d'une population normande unie face à l'Angleterre. Cependant, ces actions témoignent en partie du processus d'affermissement de l'idée de nation au XVᵉ siècle développé par Colette Beaune dans son livre Naissance de la nation France. Accéléré depuis Azincourt, le sentiment d'attachement national s'illustre dans certains mouvements résistants qui portent clairement un discours pro-français et anti-anglais tandis que d'autres agissent pour des raisons purement locales dénuées de toutes revendications nationales.


Pendant ces années, la réponse anglaise a été réelle mais hétérogène. Les bandes armées représentent un danger constant pour l'Angleterre qui empêche une sûreté de la Normandie. La présence résistante force les Anglais à maintenir des garnisons plus grandes que prévu et fait augmenter l'imposition. Dans les années 1420, des milices paysannes sont formées pour traquer les brigands en échange de primes et récompenses. Ces actions de ratissage aboutissent à la capture et mise à mort d'une centaine de résistants chaque année, un résultat insuffisant pour apaiser la Normandie. En 1434, une ordonnance est émise, demandant à ce que chaque sujet normand s'équipe d'une arme et s'entraîne à la manier. Cette exigence d'autodéfense illustre en réalité un pouvoir anglais dépassé n'ayant pas les ressources pour assurer la protection de l'intérieur des terres alors que l'imposition ne cesse d'augmenter. Cette demande d'armement de la population se retourne même à quelques occasions contre les Anglais. Au final, malgré les efforts pour lutter, l'Angleterre n'arrivera jamais à se débarrasser de cette résistance qui détiendra toujours une longueur d'avance sur son ennemi. Le chroniqueur et évêque Thomas Basin, contemporain de la Normandie anglaise évoque ainsi que le seul remède pour que les brigands cessent de hanter le duché est que les Anglais doivent quitter la Normandie.


Lors de la campagne de Charles VII en 1449-1450 pour libérer le duché, l'arrivée française connaît un franc succès. La Normandie est définitivement rattachée à la France, marquant la fin de l’occupation anglaise et l’achèvement d’un long processus où les résistances locales et les succès militaires français ont progressivement ramené la Normandie dans le giron du royaume.


Sources utilisées


CONTAMINE Philippe, 2003. La Guerre au Moyen Âge. 6e édition. Paris : Presses Universitaires de France. GOGLIN Jean-Louis, 1980. Thomas Basin, témoin de la misère normande. In : Annales de Normandie, 30ᵉ année, n°2, pp. 91-101.

JOUET Roger, 1969. La résistance à l'occupation anglaise en Basse-Normandie (1418-1450). In : Cahier des Annales de Normandie, n°5, pp. 3-212.

TOUREILLE Valérie, 2006. Vol et brigandage au Moyen Âge. Paris : Presses Universitaires de France.

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