La bataille d'Hattin, récit d'un tournant en Terre sainte
- Charles Dupont
- 5 nov.
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Dernière mise à jour : 30 nov.
Le 4 juillet 1187, sous la chaleur accablante de Galilée, l’armée du royaume de Jérusalem agonise devant les troupes de Saladin. À l’issue de la bataille, le désastre est total et est l'un des plus retentissants de l'histoire des croisades.
Avant de plonger au cœur de cet affrontement décisif, il faut remonter près d'un siècle en arrière, en Occident, pour comprendre les origines qui vont conduire à cet événement.
« Dieu vous a accordé, par-dessus toutes les nations, l'insigne gloire des armes : prenez donc cette route, en rémission de vos péchés, et partez, assurés de la gloire impérissable qui vous attend dans le royaume des cieux. » (Robert Le Moine relatant le discours d'Urbain II, Historia Hierosolymitana, début XIIᵉ siècle)
En novembre 1095, à Clermont, le pape Urbain II lance l'appel à la croisade, déclenchant un tournant dans l'histoire de la chrétienté. Depuis la prise de Jérusalem par les musulmans en 638 et la pression territoriale des Turcs seldjoukides en Anatolie dans la seconde moitié du XIᵉ siècle, la situation en Terre sainte se dégrade.
C'est dans ce contexte que débute la première croisade (1096-1099), initiant une entreprise longue de deux siècles en Orient. La croisade est alors d'une part une expédition militaire visant au recouvrement de la Terre sainte et la libération de Jérusalem, et d'autre part un pèlerinage où chaque croisé est avant tout un pénitent.
Les Etats latins d'Orient vont connaître au fil de ces siècles de profondes transformations pour assurer leur pérennité. Cependant, la date du 4 juillet 1187 marque un point de bascule, détruisant un équilibre fragile lors de l'affrontement d'Hattin.
Un royaume de Jérusalem sous pression
La bataille d’Hattin près du lac de Tibériade, en Galilée, s’inscrit dans une période charnière pour le royaume de Jérusalem, alors confronté à la fois à la montée en puissance de Saladin et à une crise interne qui fragilise la pérennité du royaume. Le royaume de Jérusalem sort d’une période de relative stabilité sous le règne du roi lépreux, Baudoin IV (1174-1185) et ce, malgré une situation difficile alimentée par Saladin. Ce guerrier kurde prenant le contrôle de l’Égypte en 1171, parvient à travers une série de campagnes à unifier les forces musulmanes d’Égypte et de Syrie, devenant ainsi une menace majeure pour la survie des États latins d’Orient.

Carte du Proche-Orient vers 1180.
Auteur : Charles Dupont, 2025
(Sources : données géographiques et atlas historiques)
Malgré les affrontements croissants liés aux incursions musulmanes et les contestations politiques internes, Baudoin IV parvient à maintenir une certaine unité et arrive à négocier des trêves et des accords diplomatiques pour maintenir la situation stable tout en entretenant une relation de respect mutuel avec Saladin. À la mort de Baudoin IV en 1185, Baudoin V, son successeur qui est son neveu monte sur le trône.
Le très jeune roi, alors âgé de huit ans, ne règne qu’un peu plus d’un an (mars 1185 – août 1186), chétif, il souffre de la lèpre comme son prédécesseur.
S’entame alors une crise de succession qui vient entacher la stabilité du royaume. Guy de Lusignan, époux de Sibylle de Jérusalem, sœur du défunt Baudoin IV monte sur le trône en 1186 et débute une politique agressive contre Saladin. Une trêve d’une durée de six années devant prendre fin en 1189 est violée fin 1186 par le seigneur Renaud de Châtillon en attaquant une caravane musulmane voyageant du Caire à Damas. Saladin exige des réparations, mais les réponses demeurent hostiles et toute solution par le dialogue est entravée, la guerre devient inévitable.
Sur le chemin de l'affrontement
À la fin du mois de juin 1187, après une précédente victoire en mai de la même année, Saladin mène une armée forte d’environ 30 000 hommes et entame le siège de la ville croisée de Tibériade située sur les bords du lac du même nom. La force de l'armée de Saladin réside dans la prépondérance de la cavalerie, des unités typiques des armées orientales du XIIe siècle. On y retrouve ainsi des cavaliers mamelouks, qui forment l’essentiel de la cavalerie lourde. À côté, la cavalerie bédouine et turcomane forment le reste des effectifs montés. Les unités à pied de Saladin sont composées majoritairement de combattants musulmans auquel il faut additionner des renforts d’effectifs par le recrutement d’unités auxiliaires.
Le royaume de Jérusalem répond par la levée à Acre d'une armée comptant entre 15 000 et 20 000 hommes. Commandée par le roi Guy de Lusignan, cette force doit contrer l'incursion de Saladin et libérer Tibériade, alors assiégée. Cette armée qui s'apprête à affronter Saladin à Hattin, porte l'héritage des armées européennes occidentales apporté lors de la première croisade en reprenant le modèle d'organisation et d'équipement de l'Occident. Le royaume de Jérusalem repose pour sa politique de recrutement militaire sur un système féodal plus affirmé qu'en Europe. Cela permet de compenser la faiblesse numérique sur place en renforçant les levées d'unités d'infanterie et de cavalerie, couplé au renfort offert par les ordres militaires (Templiers, Hospitaliers) qui agissent comme des réservoirs de troupes d'élite. En plus des forces féodales levées pour Hattin, des combattants auxiliaires sont enrôlés pour garnir les rangs : les turcopoles. Ces combattants mercenaires arabes, syriens, libanais ou arméniens sont principalement utilisés comme archers montés et cavaliers légers. Cette préparation comme l’énonce Arnaud Blin dans son livre Les batailles qui ont changé l'histoire vient marquer les prémices de « l’un des épisodes les plus mémorables, et parmi les plus tragiques, de cette longue aventure de deux siècles. »
Le désastre d'Hattin
« Les deux armées du roi Guy, souverain de Jérusalem, et de Salah-eddin, souverain d’Égypte, étaient aux prises. Ce jour-là, jamais les croisés n’avaient essuyé une telle défaite. » (Gabriel Rousseau, « Les historiens musulmans : Eimad-Eddin, Ibn al-Athîr, Bohâ-Eddin et la troisième croisade », Échos d’Orient, vol. 2, n° 6, 1899.)
Le 2 juillet 1187, l'armée levée à Acre se rassemble à Séphorie, à une vingtaine kilomètres de Tibériade. Après un temps d'hésitation entre les différents commandants de l'armée sur la stratégie à adopter, il est décidé de ne pas attendre l'ennemi et de choisir une posture agressive pour briser l'armée de Saladin et secourir Tibériade. L'armée se met en route au matin du 3 juillet, entamant une marche dans des conditions extrêmement difficiles. En effet, les troupes doivent faire face à un premier adversaire : l'aridité. Le terrain désertique, la chaleur, la soif et la fatigue viennent entacher le moral et la condition de l'armée. Ces conditions extrêmes sont d'ailleurs brièvement présentées dans le film de Ridley Scott, Kingdom of Heaven. Sans le savoir, ils entrent dans le piège que Saladin espérait, à savoir les pousser au mouvement tout en bloquant volontairement les sources d'approvisionnement en eau pour les affaiblir le plus possible avant l'affrontement.
« Le seigneur Gui, avec presque tous les nobles hommes du royaume et autant de cavaliers et fantassins qu’il put trouver, sous de sinistres auspices, privés de l’assistance de la faveur divine, se portent à la rencontre de Saladin et son armée. Le Seigneur livra le peuple chrétien entre les mains des impies. Et c’est ainsi que presque tous furent tués ou emmenés en captivité. Le Seigneur les humilia et un seul ennemi en mettait en fuite cent de chez nous. » (Jacques de Vitry, Historia Orientalis, éd. J. Donnadieu, Turnhout, Brepols, 2008.)
Saladin profite d'un ennemi épuisé et peu mobile pour lancer des attaques répétées à l'aide de ses troupes montées qui harcèlent à distance l'adversaire. Les troupes du royaume de Jérusalem, incapables de continuer leur avancée sont forcées de se retrancher au soir du 3 juillet non loin du piton rocheux des Cornes d'Hattin. Après une nuit marquée par le harcèlement continu de l'ennemi, la décision est prise le 4 juillet de tenter une sortie pour se débarrasser de l'étau ennemi en lançant plusieurs charges infructueuses. Cette ultime tentative se solde par un véritable échec. Bien que le nombre de pertes soit précisément inconnu, les historiens estiment que l'immense majorité de l'armée de Jérusalem est éliminée tandis que les troupes de Saladin n'essuient que de faibles pertes. Pendant que les rescapés de l'affrontement du 4 juillet capitulent, une partie des survivants tentent de s'échapper avant d'être rattrapés tandis que d'autres parviennent à s'enfuir et à se réfugier à Acre.

Miniature de la bataille d'Hattin. Saladin (à gauche) prend à Guy de Lusignan (à droite) le fragment de la Vraie Croix.
(Source : Matthieu Paris, Chronica maiora. Cambridge, Corpus Christi College, Ms 26, XIIIᵉ siècle)
La victoire est totale pour Saladin, de nombreux grands seigneurs sont capturés dont le roi de Jérusalem, Guy de Lusignan. Les vainqueurs mettent également la main sur le fragment de la Vraie Croix (croix sur laquelle Jésus aurait été crucifié), emportée par l'armée de Guy. L'issue d'Hattin marque un véritable tournant, amorçant de façon effective « l’effondrement du royaume » comme l'énonce Joshua Prawer. Le royaume de Jérusalem, alors sans armée, se retrouve sans défense. Les places fortes côtières tombent les unes après les autres, puis vient le siège de Jérusalem qui s'étale de septembre à octobre 1187, s'achevant par la victoire de Saladin. Le royaume de Jérusalem perd ainsi l’essentiel de ses possessions, les croisés sont poussés vers le littoral et leur domination ne se résume plus qu'à quelques possessions éparses.
« Lorsque le sultan eut mis les Francs en déroute, il continua sa marche jusqu'à ce qu'il arriva tout près de Jérusalem. On était alors au du mois de septembre 1187. Les Francs ayant vu la vigueur de l'attaque, leurs chefs se réunirent pour délibérer. Leur avis unanime fut de demander une capitulation et de livrer Jérusalem à Salah-eddin. La ville fut livrée le vendredi 2 octobre 1187. Beaucoup d'hommes distinguée et de chevaliers francs témoignèrent de la tristesse au sujet de la perte de Jérusalem, souhaitant tirer vengeance. » (Ibn al-Athîr, al-Kāmil fī-al-Tārīkh. Dans : Recueil des historiens des croisades : Historiens orientaux, Vol. 1. Paris : Imprimerie nationale / Académie des inscriptions & belles-lettres, 1872.)
La série d'événements découlant d'Hattin marque la fin d'une époque et l'entrée dans une phase de reconquête difficile qui mobilise l'Occident lors du lancement de la troisième croisade en 1189 par le pape Clément III. Malgré cet élan, l’espoir de reprendre Jérusalem se solde par un échec relatif : les croisés ne parviennent pas à atteindre les objectifs fixés par cette expédition.
Sources utilisées BALARD Michel, 2017. Croisades et Orient latin. XIe-XIVe siècle. 3e édition. Paris : Armand Colin. BLIN Arnaud, 2016. Chapitre 5, Hattîn. 4 juillet 1187. In : Les batailles qui ont changé l’histoire. Paris : Éd. Perrin, « Tempus ». p. 169-199. DEMURGER Alain, 2010. Croisades et croisés au Moyen Âge. Paris : Flammarion. DELCOURT Thierry, 2008. Les Croisades: La plus grande aventure du Moyen Âge. Paris : Nouveau Monde.
